Les bons et les mauvais clients

Il ne faut pas croire qu’il n’y a pas de mauvais interviewés, juste de mauvais interviewers. Parce que quand on est journaliste on est parfois confronté à des mauvais clients qui nous donnent du fil à retordre. C’est un peu comme dans les émissions d’appels à témoins sauf qu’on n’a personne pour faire le casting en amont et que parfois (par manque de temps, à cause d’un interlocuteur imposé par le rédac chef, etc.) on se retrouve avec une personne à interviewer avec qui il faut déployer des trésors d’ingéniosité pour arriver à obtenir d’elle un propos intéressant.

 Exemples de mauvais clients : 

-Celui qui joue l’inaccessible : super occupé, il vous fait changer votre rendez-vous plusieurs fois, vous annonce d’emblée qu’il aura peu de temps à vous consacrer. Malheureusement il s’avère aussi que c’est souvent celui qui a le moins de choses palpitantes à vous raconter…

-L’intervenant censé être une référence dans son domaine mais qui n’est pas rôdé au discours médiatique : bafouillages et réponses à côté de la plaque au programme.

-L’intervenant censé être une référence dans son domaine et qui est trop rôdé au discours médiatique : formules toutes faites et phrases rebâchées au programme.

-Le méprisant : celui qui vous dit au bout de quelques minutes à moitié outré : « Mais vous n’avez pas lu mon livre ?! » Et là, vous n’avez plus qu’à lui expliquer que si, mais que vous préférez toujours une réponse personnelle qu’extraire un morceau choisi de son ouvrage que tout le monde pourrait obtenir en librairie (et qu’en plus on part du principe que le lecteur de l’article n’aura PAS LU son livre. Et oui, je sais c’est choquant pour cette personne qui estime être le centre du monde). En même temps, vous regrettez justement à ce moment là de ne pas avoir choisi la facilité en citant son livre…

-Celui qui vous met mal à l’aise : regard concupiscent, drague à peine déguisée, tutoiement immédiat (et on sait à quel point j’aime ça !!!), propos ultra-familiers un brin déplacés fusant rapidement. Dans ce cas, je prends mon air le plus digne possible pour essayer de rehausser un minimum le débat l’air de rien. Mais il faut croire que certains sont hermétiques à toute tentative pour parler d’une manière un peu plus civilisé qu’avec leur pote de belote…

-Celui qui manie la langue de bois à outrance. Dans le cas d’une célébrité, elle est souvent accompagnée par son attachée de presse, garde fou idéal quand l’interview dérape (de son point du vue). Même si je ne fais pas des interviews pour des mags qui cherchent le scoop ou la polémique à tout prix, le discours formaté reste quand mème mon ennemi comme celui de tout journaliste. Rien de pire que de s’entendre déblatérer le même propos que vous avez pu lire dans un canard la semaine précédente lors d’une interview qui ne laisse aucune place à la spontanéité.

Heureusement, il y a aussi les bons clients et j’en profite ici pour les remercier parce qu’ils vous rendent vraiment la vie plus facile et illuminent même parfois votre journée. Ce que j’aime dans le métier de journaliste c’est de pouvoir rencontrer quelqu’un qui partage son univers avec passion. C’est le cas avec certains artistes mais cela peut aussi bien arriver avec des anonymes qui ont une expérience forte sur laquelle ils sont prêts à se livrer.  

Exemples de bons clients :

-Le gentil : je me rappelle d’un cancérologue adorable et pédagogue avec qui la liaison téléphonique était ultra-difficile : pendant l’interview, le réseau a dû couper presque une dizaine de fois et je le rappelais sans cesse en m’excusant platement mais il ne s’est pas laissé démonté, n’a pas perdu patience et a continué à vulgariser pour moi des données scientifiques pas forcément évidentes à assimiler. Autre gros moment de solitude (que tous les journalistes ont peur de vivre un jour) : mon magnéto plante en pleine interview, plus de piles. Et là, adorable, Anne Roumanoff m’a filé les propres piles de son magnéto pour que je puisse terminer l’interview. Crise évitée, un grand merci.

-Celui qui est passionnant : Récemment j’ai par exemple interviewé Valérie Orsoni pour un article pour Do it in Paris. Cette française vit aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années et mine de rien elle a fondé un empire dans le domaine du coaching alors que d’après son dossier de presse c’était mal barré (une enfance pauvre en Corse, une tumeur au cerveau, un cancer du col de l’utérus, etc.). Bref, on sent quelqu’un qui a un vrai parcours et cela fait plaisir de parler avec une personne qui a autant d’enthousiasme qu’elle.

-Celui avec qui vous voudriez devenir ami : Comme à la fin de mon interview avec Audrey Dana ou Zoé Félix, des trentenaires super sympas avec qui je me suis sentie plein d’affinités. Pendant 45 minutes OK (je n’ai absolument pas l’âme d’une groupie en plus) mais c’est toujours plus agréable que de se faire chier pendant une interview.

-Le conciliant : il est disponible tout le temps, a des choses intéressantes à vous raconter et il vous propose même des visuels pour illustrer l’article. On a envie de le rappeler à chaque fois qu’un sujet dans sa thématique se profile mais on ne peut pas, dommage (l’éthique et la conscience professionnelle ont tendance à vous compliquer la vie, damn).

-Celui qui vous prend en affection : comme j’ai l’air d’avoir 12 ans, il arrive souvent que les interviewés que je rencontre me considère avec bonhomie parce que je leur rappelle leur fille, leur nièce, etc. Attention cependant à ne pas tomber dans le travers de cette jeunesse affichée : ne pas avoir l’air crédible. Il faut donc arriver à moduler son degré d’innoncence en fonction des interlocuteurs : si je sens qu’on ne me prend pas au sérieux, je joue à fond la carte du professionnalisme. Si au contraire je perçois que mon allure juvénile va mettre en confiance mon interlocuteur, je joue à fond la carte de l’empathie. Et souvent, c’est là qu’on obtient les plus jolies confidences, comme un moment de grâce qui donne à l’article son petit plus.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *